3ème sommet national de l’épilepsie
Le 3è sommet national de l’épilepsie, organisé par EPILEPSIE FRANCE s’est déroulé le 22 novembre 2024.
Pour la première fois, le thème de la mort subite en épilepsie figurait au programme, et a fait l’objet d’une table ronde.
Cette table ronde reflète les différentes tendances qui traversent le monde médical concernant les pratiques sur l’information sur la mort subite.
Sous un vernis consensuel, on voit que les pratiques et les positions sont très variables.
Par ailleurs, ces débats ne sont pas le reflet de ce qui se passe au plan national : seuls les épileptologues les plus informés participent au sommet national et s’y expriment.
Il faut noter que le neurologue référent national de la LFCE sur la mort subite en épilepsie -sudep ( le Dr Rheims) relate sa pratique en ce qui concerne l’information qu’il apporte à ses patients sur le risque de mort subite : tout en réfutant le terme de réticence à propos des médecins vis à vis de l’information à ce sujet, il explique ne donner l’information qu’une fois, lors du diagnostic, sans nécessairement la rappeler par la suite, même s’il le patient l’a oubliée. Il la réitère néanmoins lorsqu’il en vient à aborder certaines options thérapeutiques (probablement le recours à la chirurgie).
Il se déclare également contre la recommandation d’appareils de détection des crises en tant que susceptibles d’éviter une mort subite car il estime qu’on ne peut affirmer qu’ils permettent de diminuer ce risque : "Donc, ne pas se culpabiliser si on n’a pas de système de détection, parce que ça ne diminue pas le risque de sudep, ça n’est pas vrai" à 38:02
Pourtant, le Dr Huberfeld explique quant à lui l’intérêt de ces dispositifs à condition que quelqu’un puisse intervenir rapidement. Il dénonce en revanche l’attitude qui consiste à n’aborder le risque de MSIE qu’en l’érigeant en menace afin d’obtenir une bonne observance de la prise de médicament ou le recours à la chirurgie.
Un autre point intéressant est qu’il ressort que certaines équipes de neuropédiatrie savent bien que la mortalité par MSIE des enfants est identique à celles des adultes ( cf 3h57) et informent les patients et leurs familles du risque de décès par mort subite, et ce malgré les "recommandations" de la HAS (en réalité les recommandations de la HAS affirmant une chose et son contraire, chacun peut y trouver une confirmation de la pertinence de sa pratique). L’importance de la stimulation est bien mise en avant par le Dr Dozières-Puyravel et son équipe à l’hôpital Robert Debré.
Selon elle, en neuropédiatrie la présence d’un tiers lors d’une crise n’est pas un problème, les parents étant à proximité de leurs enfants.
Le Pr Rheims ne nie pas l’intérêt de la stimulation mais ne l’évoque que parce que ses collègues l’ont évoquée. Il n’est pas certain que ce point fasse partie de l’information sur le risque de mort subite qu’il dispense.
Cette table ronde a le mérite de clairement montrer que le frein principal à une meilleure information sur le risque de mort subite et des moyens de s’en prémunir tourne autour de l’importance de la présence d’un tiers. Une bonne information compromettrait les projets d’indépendance des patients adultes, dans une maladie qui entraine déjà beaucoup de contraintes .
Une autre table ronde a porté sur les comorbidités.
NB . Le problème de la formation des médecins concernant l’épilepsie en général est évoqué par le Pr Fabrice Bartolemei dans un podcast enregistré lors de la journée nationale ( hors table ronde) : https://www.vivrefm.com/posts/2024/11/epilepsie-france-pr-fabrice-bartolomei-neurologue-a-l-hopital-de-la-timone-a-marseille
Le lien vers le replay de ce sommet : https://www.epilepsie-france.com/3eme-sommet-national-de-lepilepsie/#VIDEOS
[1] différents témoignages montrent que les pratiques varient énormément d’une équipe à l’autre.
Voici un extrait de la table ronde sur la mort subite en épilepsie (à partir de 3h52 50 : lien https://www.youtube.com/watch?v=UhO8u4cBLXo)
Le Dr Blandine Dozières-Puyravel neuropédiatre à l’hôpital Robert Debré représentante du RSME, le Pr Sylvain Rheims neurologue aux Hospices Civils de Lyon, référent national sur la sudep à la LFCE et le Dr Gilles Huberfeld neurologue à l’hopital Fondation Rothschild à Paris
Géraldine R C’est l’une des thématiques les plus sensibles de la journée puisqu’il s’agit de la thématique des décès et des risques de mort subite inexpliquée. Cette question est si complexe que le monde médical peut même avoir des difficultés pour l’aborder
Quand et comment l’évoquer avec les patients et leurs proches au risque de à générer une inquiétude et un stress qui peuvent être délétères à leur tour.
A quel moment du parcours de soins, quelles informations on peut tenter de transmettre pour éviter ces drames, on commence par écouter la synthèse du groupe de travail ()
3h52 50 (=5:20 vidéo courte)
Nous avons 3 médecins particulièrement engagés et qui ont tous un peu même presque refuser de parler de réticence sur ces communications, qui ont insisté sur le fait qu’il fallait trouver le bon moment, la bonne façon d’en parler et peut-être aussi, pour commencer, Pr Sylvain Rheims, essayer d’aider à comprendre justement ce qu’on sait sur ces morts subites et inexpliquées ?
3h53 53
Sylvain Rheims :
On ne sait pas tout, mais on sait quand même quelques éléments. Et juste avant de revenir sur la question épidémiologique, pourquoi est-ce qu’on insiste autant sur le fait qu’on n’est pas aussi certain qu’il y a une certaine réticence ? C’est parce que c’est un sujet qui est mis en avant et dans l’intérêt à la fois médical et scientifique de notre communauté depuis plus d’une quinzaine d’années. En France quand même tout particulièrement, à la fois la communauté scientifique, les différentes sociétés savantes, la Fondation pour la recherche pour l’Epilepsie a beaucoup soutenu la mise en place de recherches dans le domaine de la mortalité, dans l’accompagnement, puisque le réseau mortalité que coordonne Marie-Christine Picot à Montpellier a aussi ce volet là de pouvoir faire de l’accompagnement aux familles endeuillées. Donc, c’est vraiment quelque chose qui, en tout cas, dans le coeur de la communauté épileptologique est très présent, et sur le plan scientifique, a même donné à la communauté épileptologique française une place particulière du fait de l’organisation qui a été mise en place, de la collection des données,etc. Donc ca c’était juste pour redire que oui, c’est important, que sans doute il y a nettement mieux à faire dans la communication vis-à-vis de nos autres collègues, de nos collègues neurologues qui sont moins habitués, mais que la conscience de la problématique au sein de la communauté épileptologique, elle est vraiment très présente.
3h54 45
Concernant ce dont on parle, c’est vrai que j’ai souvent quand même l’habitude de remettre la question des sudep dans le contexte plus global de la mortalité dans l’épilepsie, parce que la sudep est une cause qui n’est pas la cause qui est prédominante, on estime que 40 à 50 % des décès liés à l’épilepsie sont liés à des sudep, ce qui est beaucoup, mais ca veut dire quand même qu’il y a beaucoup d’autres patients qui malheureusement décèdent pour d’autres raisons, que ce soit lié à la maladie en elle-même, c’est un point qu’il ne faut pas oublier (Blandine me corrigera peut-être), il y a aussi des pathologies neuro-développementales, génétiques ou non génétiques, ou métaboliques, qui ont leur propre évolution, et les comorbidités dont on parlait tout l’heure peuvent entraîner un risque de surmortalité et la vision en particulier de l’épilepsie de l’enfant ne peut pas se limiter au risque de sudep, il y a tout le reste. La même chose chez l’adulte, dans les données mortalité qui sont évoquées, un patient qui développe une épilepsie sur une tumeur cérébrale agressive, la mortalité va être importante du fait de la tumeur cérébrale. Ensuite, il y a les suicides dont on a parlé ce matin, cela ne peut pas être mis de côté non plus, et la problématique des accidents. Donc à peu près 40 % des décès sont liés à des morts soudaines inattendues, effectivement le risque à l’échelle de tous les patients souffrant d’épilepsie, il est globalement bien établi, le taux c’est de 0,1 % par an et quand on prend les patients qui sont à plus haut risque, c’est à dire les patients souffrant d’une épilepsie pharmaco-résistante, avec toute la limite de ce que veut dire épilepsie pharmaco-résistante puisque la définition a l’avantage d’être simple et c’était un vrai progrès cette simplicité mais elle désavantage de mêler les patients qui ont une épilepsie active et ceux avec une épilepsie moins active. En tout état de cause, on est autour de 0,4 et 0,5% de risque annuel. Alors on est tous conscient ici que l’épilepsie est une maladie au long cours et que le risque annuel est un risque cumulatif ; sur des études très connues qui avaient été conduites en Europe du Nord quand on regarde des épilepsies débutant dans l’enfance avec une évolution vers la pharmaco-résistance, il y avait un risque cumulatif de décès toutes causes confondues de 20 % à l’âge de 40 ans, et donc de sudep de la moitié, c’était autour de 10 à 12 % ; Donc effectivement, sur le long terme, il y a donc un risque cumulatif qui est très significatif, ce qui explique que la sudep est la deuxième cause de perte d’années de vie chez des sujets jeunes. Mais je vais ensuite laisser la parole à Blandine.()
3h57:24 parce qu’un des points que vous avez soulignés, du fait qu’il y ait un pic chez des sujets jeunes est ce que l’on considérait et depuis 4/5 ans, on revient sur cet élément qui était probablement biaisé par la façon dont on arrive à collecter les données, c’est à dire que pour collecter les données de mortalité par exemple en France il y a tout le système de l’INSEE qui permet de collecter les causes de décès mais encore faut-il que le certificat de décès notifie le fait que ce soit une sudep ; et donc, c’est déjà difficile chez l’adulte mais chez l’enfant c’est encore plus compliqué, donc il y a des problèmes de sous-représentation des décès chez l’enfant. Si l’on regarde les données nord-américaines ou les données suédoises, globalement on trouve des sudep à tout âge, mais comme la prévalence de l’épilepsie augmente avec le temps par définition, on a une augmentation, et puis ce n’est probablement pas les mêmes épilepsies qui sont à risque chez l’enfant et chez l’adulte. Je passe la parole à ma collègue pédiatreV(…)
Blandine Puyravel
Sur l’épidémiologie, sur la sudep chez l’enfant, avant on avait l’impression que les chiffres étaient moins importants que chez l’adulte, et c’est ce que disait Sylvain parce que probablement c’était sous-déclaré. Mais maintenant effectivement, on a plutôt l’impression que c’est les mêmes chiffres. Et après en pédiatrie on a aussi des maladies génétiques qui touchent le petit avec une augmentation du risque de sudep sur des gènes qui sont bien connus en fait. Donc on a cette cause-là qui est quand même assez fréquente. Et ensuite on a de nouveau un pic au moment de l’adolescence, où ça correspond du coup au jeune adulte.
GR Et ça correspond au jeune adulte parce que c’est lié à l’évolution de l’épilepsie ?
()
BDP :Après c’est aussi le type d’épilepsie, on a vu tout l’heure avec les facteurs de risque avec les crises tonico-cloniques généralisées , une grande part des épilepsies de l’adolescent et du jeune adulte qui sont les épilepsies généralisées avec des crises tonico cloniques qui peuvent être généralisées et qui surviennent la nuit, et donc des patients qui sont plus à risque.
3h59:47
SR (...) Sur ce qui se passe, on ne sait pas... On ne sait pas, on n’est pas capable de répondre précisément qu’est-ce qui se passe dans le cerveau de nos patients () pour expliquer que certains vont être réellement à risque de décéder et pas d’autres. Ce que l’on a comme données, c’est quelle est la séquence qui survient au moment où, malheureusement, le décès va survenir, on l’a observée à la fois sur la base de travaux dans des modèles d’animaux d’épilepsie mais également en ayant accès à des données de patients malheureusement décédés alors qu’ils étaient hospitalisés en vidéo-EEG, à travers le monde, parce que c’est des situations extrêmement rares ; c’est une étude qu’avait à l’époque coordonnée à l’époque Philippe Ryvlin, et on avait récupéré les données mondiales. Ce que l’on voit, c’est que, dans cette étude tous les patients sont décédés au décours d’une crise, ce qui est important parce qu’il y a eu un moment donné des discussions est-ce qu’une sudep peut survenir en dehors des crises ? Sans crise dans les heures, dans les minutes qui précèdent il y a un cas dans la littérature, donc vous dire que ça n’est pas possible, je ne pourrai pas le dire, mais on considère qu’il faut qu’il y ait eu une crise avant généralement. On considère, dans cette étude, que tous les patienst avaient fait une crise effectivement avec convulsion. Au décours immédiat de la crise, tous les patients étaient vivants, au sens où on voyait leur rythme respiratoire et on voyait le coeur battre et le décès survenait dans les minutes qui suivaient la crise avec, sur les données telles qu’on les a regardées, avant tout un arrêt de la respiration, que l’on considère comme étant le témoin que … ? parce que l’on respire avec nos poumons mais nos poumons sont contrôlés par le cerveau et l’hypothèse principale, c’est qu’il y a une défaillance du contrôle de la respiration par le cerveau qui a été désorganisé par la survenue de la crise, et que c’est ça la principale problématique, et, du fait du manque d’oxygène, puisque le patient ne respire plus à ce moment-là, le coeur finit par s’arrêter. Et globalement, ceci survient après.
Donc le fait d’avoir une respiration forte pendant une crise d’épilepsie, le fait d’être cyanosé pendant une crise d’épilepsie, on sait que ce sont des choses parfaitement attendues, et ce n’est pas ça, on ne peut pas affirmer que ça, c’est un précurseur d’ensuite d’entraîner un arrêt respiratoire puis cardiaque dans les 2, 3, 4 à 5 minutes qui suivent les crises. Là où on est par contre très mauvais, pas suffisamment avancés pour essayer de comprendre, c’est que le facteur de risque principal, c’est le fait de faire régulièrement des crises convulsives, principalement au sommeil, mais ça concerne beaucoup, beaucoup, beaucoup de patients. Mais si chaque sudep est un drame, on reste quand même sur une complication rare, voire très rare. Il y a sans doute certains patients qui vont développer une susceptibilité particulière pour expliquer qu’à ce moment-là, sur cette crise-là, ce jour-là, effectivement, le système de contrôle cérébral de la respiration a dysfonctionné, et savoir essayer d’anticiper, ça, on en est, à l’heure actuelle, incapable de le faire. On le cherche, mais pour l’instant, on ne trouve pas.
4H03 15
( témoignage rapporté de Sylvie Jaymot)
Gilles Huberfeld : Les patients qui font des crises convulsives la nuit s’en rendent compte dans seulement 50 % des cas. Ca fait que d’une part, un certain nombre de patients qu’on pourrait penser équilibrés peuvent tout à fait ne pas l’être. Par exemple, dans ma consultation de mercredi, j’ai vu un patient qui faisait essentiellement des crises généralisées qui semblait ne plus trop en faire depuis au moins 3 mois avec un traitement franchement lourd, mais avec une question qui persistait qui était : en fait-il la nuit ? Il me disait : je crois que je n’en fait pas. J’ai dit : on a des dispositifs qui marchent plus ou moins pour détecter les crises convulsives. Il m’a dit : oui, j’en ai un, mais j’ai arrêté de le porter car il sonnait tout le temps, même quand je faisais du sport. J’ai dit : ok on peut peut-être le mettre seulement la nuit, on saura au moins ça. Il y a là une première méconnaissance qui est compliquée. Tout à fait. Ensuite, la question de l’information, évidemment est elle-même compliquée, et très honnêtement, il n’y a pas de règle, et puis s’il y avait des règles, on ne se poserait pas la question. Elle va dépendre de si c’est l’annonce diagnostic, de si c’est plus tardif, de la façon dont c’est totalement assommant pour les patients initialement quand on commence à lister un certain nombre de choses qui vont être compliquées, donc, j’ai tendance à ne pas en parler à la première consultation parce que je trouve que c’est trop, et trouver le bon espace c’est plus ou moins simple et ça va être extrêmement dépendant d’un patient à l’autre. Il y a aussi une attitude qui, je pense, honnêtement, ne prévaut plus, qui était une attitude médicale très paternaliste en disant : « ça va trop les stresser, ça va trop les angoisser, il n’y a pas à leur dire, et il y a d’autant moins à leur dire que l’on ne sait pas réellement les prévenir, sachant qu’on n’a pas d’attitude très spécifique à mettre en place, pourquoi aller stresser pour rien ? C’est peut-être un peu d’un autre temps,ça, c’est évident, et on essaie évidemment d’informer les patients, mais dans un espace particulier. Dans un hôpital, on a fait une brochure qui est assez longue pour les patients, on n’a pas mis les sudep dedans, puisque ça s’est plutôt qu’on pense que ça, c’est quelque chose qu’il faut annoncer dans une interaction directe, et pas dans une lecture froide d’un document.
Géraldine Zamanski : la HAS dans ses recommandations met l’information sur les sudep assez d’emblée. Je crois qu’en pédiatrie, vous disiez que vous aviez une approche différente y compris parce que ce risque est souvent malheureusement plus présent dans certains syndromes ?
4h07 06
Blandine Dozières-Puyravel : Ce sont des enfants, il y a les parents, ils ne vivent pas seuls, il y a quand même une surveillance la nuit. On a rarement des cas comme ça, en fait, parce que les patients interviennent. L’information est un peu différente quand même avec la personne qu’on a en face. Mais effectivement, dans notre équipe, ce n’est pas pour tout le monde, mais nous, on l’annonce très vite et souvent dès la première consultation parce que, dans cette consultation, on va aussi annoncer les risques des crises, on va leur conseiller de ne pas prendre de bains, de ne pas fermer à double tour la porte de la salle de bain au cas où il se passe quelque chose, et on va amener la sudep dans le risque de faire une crise, en fait. Et en fait, moi, ça fait 10 ans que j’en parle et au début, j’avais l’impression que les parents étaient surpris. Maintenant, ils ne le sont pas. Quand on les voit, l’enfant a déjà fait une ou plusieurs crises, ils ont déjà cette information, soit ils ont déjà vu leur enfant faire une crise, et quand on voit quelqu’un faire une crise, on a clairement l’impression qu’il y a la possibilité de mourir, donc les parents ont déjà eu cette impression-là, parfois, ils nous le disent:j’ai cru qu’il allait mourir. Et on a une petite porte pour en parler. Sinon, ils sont allés chercher sur Internet, ils ont regardé : est-ce que je peux mourir d’une crise ? Ils ont déjà la réponse et, quand on leur en parle, ils ne sont pas spécialement surpris. Les patients sont souvent au courant avant qu’on l’évoque. On en reparle pas forcément à chaque consultation, on peut en parler plus tard avec les ado notamment concernant les conduites à risque.
Sylvain Rheims Je suis d’accord. Et ça s’applique aussi chez l’adulte. Les premières fois, souvent, au sein de la consultation avec première crise et le suivi au long cours, souvent sur les consultations première crise, les patients même adultes ne viennent pas tout seuls, et quand il y a eu un témoin, le témoin a souvent l’impression que la personne allait décéder. Du coup, je pense.. Laisser la porte ouverte à la discussion lorsqu’on évoque les différents risques quand on annonce une épilepsie, très honnêtement, je le fais. Est-ce que j’utilise le mot « Sudep » ? pas forcément. Est-ce que je dis oui c’est très rare, mais le coeur et la respiration peuvent s’arrêter après une crise convulsive, c’est vrai je le fais systématiquement. Après, la question de savoir ce que la personne que j’ai en face de moi a réellement retenu ce que je lui ai dit , ce qu’elle a entendu, est une question ouverte. On a tous plus ou moins des expériences plus ou moins traumatiques, y compris en dehors de l’épilepsie, j’ai un souvenir en tant qu’interne d’avoir annoncé une tumeur cérébrale et, rétrospectivement d’avoir été beaucoup trop violent en ayant voulu absolument que la famille comprenne, et 3 semaines plus tard, la famille m’a dit : on nous a jamais dit ça ! Alors que même moi, j’étais traumatisé de l’avoir dit trop violemment – ce qui montre bien qu’à un moment donné, cette distance de la façon dont on l’annonce - c’est quand même un peu compliqué. Mais du coup, sur des patients qui pourraient avoir l’impression de n’avoir jamais eu l’information, soit ils ne l’ont jamais eue, soit ils l’ont eue parmi d’autres choses, mais il y a eu tellement d’autres choses qu’ils ne l’ont pas retenue. Par contre, c’est vrai, ce que l’on ne fait pas, par rapport à d’autres choses, tout à l’heure on citait la question de la femme en âge de procréer, moi, je demande systématiquement : est-ce que vous avez un projet de grossesse ?. 4H10 :40 . Donc en fait on réinitie à chaque consultation l’information de la question de la contraception vis à vis de la grossesse, alors que non, je ne vais pas le faire ensuite systématiquement à chaque fois que je vois un patient avec une épilepsie pharmaco-résistante, et lui demander : « est-ce que vous vous souvenez bien que je vous ai dit qu’il y avait un risque de mort soudaine inattendue ? » Cela va m’arriver de réinitier , soit sur la question de la famille, soit pour expliciter un petit peu certaines propositions thérapeutiques qu’on peut lui faire.
On sait que certains patients pharmaco-résistants en ont ras le bol de changer de médicaments, on ne voit plus que les effets secondaires. On comprend qu’en terme de qualité de vie, cela peut-être compliqué. Mais certains patients qui font des crises convulsives la nuit, pour eux on a parfois l’impression que c’est utile de réessayer un médicament, se donner une opportunité. Pas dans une attitude de dire : si vous ne faites pas ça, vous allez mourir. Mais plus pour dire : c’est une proposition d’aller dans ce traitement. A l’échelle globale des patients, la chirurgie de l’épilepsie diminue la probabilité de mortalité à long terme, mais ce n’est pas un élément que l’on prend facilement en compte. Par rapport à d’autres choses, oui, l’information, on l’a donne. Mais la réitération de l’information est plus difficile à gérer et explique que certains patients ne l’ont pas toujours. Par contre, sur la HAS qui donne des éléments, on a aussi des choses à destination des patients, des médecins, qui (ont) été fait(es) par le Réseau Sentinelle Mortalité Epilepsie qui sont bien faites et qui sont facilement trouvables sur le site pour transmettre les informations.
G Z Ce qui ressortait aussi beaucoup de nos précédents échanges, c’est que… Vous étiez d’autant plus en réflexion sur ce niveau d’information que ça peut même casser le lien de présenter justement un risque trop massif par rapport à l’observance, à la lutte contre les risques, etc ?
GH C’est casser le lien entre le malade et le médecin qui peut être complexe, qui peut mettre du temps à se mettre en place, qui peut se faire d’emblée, et c’est souvent le cas dans ces consultations, quand souvent les patients ont déjà eu du mal à expliquer leurs symptômes et à les décrire et qui se retrouvent devant quelqu’un qui arrive à mettre des mots sur ce qu’ils ressentent. Mais encore une fois, pour moi, il y a un moment particulier, parfois difficile à définir, et c’est là-dedans. Là où pour moi, c’est un peu plus compliqué, c’est cette espèce d’argument d’utiliser le risque de décès comme argument-massue sur la prise et la bonne prise du traitement. Ca, c’est assez compliqué. Evidemment, c’est important de bien le prendre, c’est important de bien le prendre parce que ça va avoir un effet positif sur le risque de décès, de blessure…
Prendre le traitement et l’hygiène de vie, le sommeil
GH : Oui, sans excès, puisque, aussi, un des avantages des médicaments, quand ils fonctionnent au moins, c’est de permettre aux gens de vivre le plus normalement possible. Ce n’est pas anodin non plus. J’ai un souvenir.. Je me suis intéressé aux facteurs favorisant les crises. Il y a des années de ça, j’ai vu un patient et sa femme pour la première fois qui m’expliquaient qu’ils avaient lu ce que j’avais écrit et qu, depuis, ils se couchaient tous les soirs à 21h, ne prenaient pas d’excitants.. Je leur ai demandé : y a-ti-il moins de crises ? Non. J’ai dit Peut-être qu’il faudra changer un peu la façon de s’adapter. Donc, voilà, il faut essayer de trouver un équilibre qui peut être un équilibre dynamique entre les contraintes, mais la maladie, c’est avant tout une maladie de la liberté.
GZ L’orage est passé, le patient est hors de danger quelque part et paf. Donc quid de ce qui peut être fait ? Est-ce qu’être à côté du patient, est-ce qu’il y a des stimulations, des gestes à faire ? Qu’est-ce qu’on sait aujourd’hui de mesure d’interaction ?
Blandine DP On dit qu’après la crise, il faut que les parents restent près de l’enfant, le réveillent, le stimulent, vérifient qu’il est bien réveillé, et le laisser dormir après qu’il ait été bien réveillé. Le premier geste à faire, c’est de venir, de stimuler l’enfant, de le réveiller. Mais pour nous, c’est plus facile encore une foi, parce que les enfants sont rarement seuls.
Nous c’est essentiellement ça, le fait d’être présent. Et après on on avait évoqué la réanimation par les parents. Oui, si les parents sont en mesure de faire des gestes de réanimation, vous avez posé la question de savoir s’il fallait former tous les parents… Moi, j’étais plutôt à dire non parce que je ne vois pas comment on peut réussir à faire ça. C’est plutôt une histoire de : pourquoi il ne faudrait pas commencer à former tous les enfants du primaire, du collège, aux gestes de réanimation, ce qui fait que, dans 10 ans, ce seront des parents qui sauront agir ? Mais c’est vrai que je ne vois pas trop comment mettre dans la consultation le risque, rester près de son enfant et faire une petite séance de réanimation.. Moi, ça me paraissait un peu… Je ne sais pas ce que pensent mes collègues…
SR Je réfléchis ! Non c’est compliqué. Si un patient nous demande si le fait de faire une manœuvre de réanimation peut avoir un impact, on ne peut pas répondre non, parce qu’une des données de l’étude dont j’ai parlé, c’est qu’il y avait des patients qui étaient décédés, mais il y avait des patients qui avaient fait une near Sudep et qui font un arrêt cardio respiratoire. C’étaient des patients qui étaient à l’hôpital, mais qui avaient été massés dans les 2-3 minutes qui suivaient l’arrêt cardiaque, alors que, dans ceux qui sont décédés, c’était beaucoup plus irrégulier. Point important, parce que sur le plan scientifique, il est indispensable d’être formel sur le fait que cela veut dire que les patients qui ont été massés, le massage les a sauvés, ça ne veut pas dire que ceux qui sont décédés auraient été sauvés si on les avait massés. Le lien va dans un sens et pas forcément dans l’autre, raison pour laquelle on ne peut pas dire actuellement qu’on est certain, et c’est à la fois important pour toute déculpabilisation, et pour ne pas vivre dans une anticipation permanente, parce que quand on voit un adulte de 20 ans qui a envie de mener sa vie, et qui, lui, a envie de prendre son appartement, et que la discussion arrive, on est souvent très souvent embêté parce que lui est demandeur de vivre seul, de prendre son autonomie, et si son entourage lui dit que c’est hors de question parce qu’on veut être là pour pouvoir intervenir toutes les nuits, ça met dans une situation très compliquée. On est là pour entendre aussi la réalité de vie et les demandes des patients, leur donner des informations, donc, mais ne pas forcer des chose qui iraient presque à l’encontre de la volonté du patient.
4H18 50
Témoignage de Tiphaine Ligutti
GZ Questions sur les dispositifs de détection
GH La problématique à ce stade, elle est plus de détecter un risque imminent de mort subite et peut-être une crise convulsive juste avant. Donc il y a un certain nombre de dispositifs qui existent, qui sont par exemple des montres, des bracelets, des capteurs de fréquence cardiaque. Il y a un phénomène assez particulier entre la fin de la crise et cette éventuelle mort subite qui a une mise en jeu particulière du système végétatif, pour lequel on a des outils éventuellement, mais la difficulté à l’heure actuelle, c’est de pouvoir détecter cette période à risque potentiel, et, derrière, que fait-on ? Et ça, ce n’est pas anodin. C’est pour ça que les choses, et notamment la recherche, et Sylvain fait des choses extrêmement précieuses là-dessus doivent progresser. Et en tout cas la première chose qu’il est possible de faire c’est effectivement de prévenir. Mais ne pourra prévenir dans le timing spécifique que quelqu’un qui est déjà dans la maison. Cela pose donc la grande question de l’autonomie derrière effectivement. Il y a des recherches en cours qui vont peut-être mieux permettre de comprendre des mécanismes, chez des patients particulièrement à risque, ça peut permettre de proposer des thérapeutiques, mais on n’en est vraiment pas là.
Sylvain Rheims
En terme de thérapeutique oui, il a été montré que de baisser la fréquence des crises a un impact sur les SUDEP, au moins transitoirement, quand on regarde uniquement des patients inclus dans des essais médicamenteux visant à évaluer un nouveau médicament contre l’épilepsie, il y a effectivement une diminution transitoire du risque de SUDEP. Ca peut paraître une lapalissade, mais ce n’est pas anodin, ça veut dire qu’il est possible de moduler ce risque au moins sur des périodes temporaires. De façon plus spécifique, il y a 2 questions : est-ce qu’on pourrait développer des traitements à rajouter au traitement anti-épileptique qui aurait pour vocation de limiter les conséquences qu’a pu avoir la crise sur les centres dans le cerveau qui contrôlent la régulation respiratoire, ou autre chose, pour pouvoir diminuer la fenêtre de risque après une crise ? Mais on en est loin, on n’a pas forcément les bonnes cibles thérapeutiques, on voit qu’il y a des dysfonctionnements dans certaines molécules dans le cerveau et dans certaines régions du cerveau, mais pas suffisamment spécifiques pour arriver à proposer des traitements. Et on aurait du mal à les évaluer, on est dans une complication rare d’une maladie et faire un essai thérapeutique de ce type de médicament est compliqué. Une autre option serait d’être en capacité d’apporter un élément thérapeutique au décours immédiat d’une crise à condition d’être certain que c’est une crise particulièrement à risque. Pareil, il y a des études pour l’instant qui n’ont pas été jusqu’au bout des résultats les plus positifs. Il y en a une française qu’on a coordonnée, c’était financé par le ministère de la Santé, et on essayait de donner un traitement au décours immédiat d’une crise, pas pour prévenir les SUDEP, mais pour voir si on modulait la respiration avec un traitement particulier qu’on donnait à l’hôpital. Malheureusement … Il y a un petit élément positif sur l’importance du coma post-critique, mais pas du tout sur la respiration. Donc pour l’instant on n’a pas beaucoup avancé. Mais si on doit aller dans cette direction, ça posera la question des systèmes de détection de crises, et ces derniers ont fait beaucoup de progrès, mais on ne sait pas si l’utilisation d’un système diminue le risque de SUDEP. On n’en sait rien. On ne peut pas le dire comme ça.
4h25 35 Je ne recommanderai jamais l’utilisation d’un système de détection pour un patient chez lui sur cet argument-là. Il y a plein d’autres raisons de pouvoir le faire : compter les crises, se sécuriser, si la famille m’en parle, je serai toujours proactif en discutant les tenants et les aboutissants de la problématique des fausses alarmes, des réveils la nuit, etc.. mais d’aller dire de manière proactive qu’il faut aller acheter tel ou tel type de système parce que ça va permettre de prévenir la mort soudaine, ça ne serait pas acceptable à mon sens. La situation est peut-être un petit peu différente dans les hôpitaux et les institutions médico-sociales, simplement parce que l’encadrement et l’intervention, là qui peut être médicalisée au sens large ou para-médicalisée, se pose différemment.
Mais vraiment je séparerai..
Donc, ne pas se culpabiliser si on n’a pas de système de détection, si quelqu’un vous dit que cela diminue le risque de sudep, ça n’est pas vrai. 4H26 41
GZ Et ne pas se culpabiliser tout court, ()q ue ce soit des proches, des parents… C’est encore une fois tellement soudain et inexpliqué, même pour vous que c’est quelque chose qu’il faut sortir des suites de ..
SR Oui, c’est la définition de « inattendue », ça s’apparente bien comme ça.
Et même par rapport à la question, et si j’avais été mieux informé, ou informé tout court, ou mieux compris l’information, et malheureusement j’ai été régulièrement été confrontés à des patients décédés de SUDEP parmi les miens malheureusement, et il y en a au moins 2 patients qui sont décédés que j’ai en tête, 2 adultes, 39:58 le premier avait participé à toutes les études sur la mortalité qui avaient été organisées, et coordonnées à Lyon, et on en a coordonnées quand même plusieurs, on ne peut pas dire qu’il n’était pas multi informé il était parfaitement conscient du risque et malheureusement il est décédé à son domicile ; Et une autre, une patiente avec un syndrome de Dravet participant également à une étude européenne que je coordonne sur les troubles respiratoires dans le cadre de ce syndrome qui est décédée.
(Retranscription issue du sous-titrage pour partie)